Tribune. Etre félicité le 5 novembre par le ministre de l’Education nationale en personne. Recevoir de ses mains le prix de la Croix-Rouge. Poser avec lui en photo, comme un symbole d’une intégration en pleine réussite. Et être brutalement condamné dix jours plus tard à quitter sans délai le territoire français, comme un expulsé de plus, par un jugement préfectoral expéditif.

 

Motif invoqué : «Non-intégration notable dans la société française.» C’est la situation que vit depuis quelques jours Aluisio Cunda Quintai, lycéen de 18 ans. Prononcée fin août par la préfecture de Marseille, puis levée in extremis par le tribunal, son obligation de quitter le territoire français (OQTF) vient d’être confirmée par la préfecture.

 

Le destin d’Aluisio, ces dernières années, comme celui de nombreux mineurs isolés en France, était déjà en forme de montagnes russes. Alternance de longues périodes d’angoisse, dans l’attente de verdicts imprévisibles, souvent à peine étayés d’explications, et de regains d’espoir, selon que se rapprochait ou s’éloignait provisoirement l’épée de Damoclès de l’expulsion, jamais vraiment ôtée d’au-dessus de sa tête.

 

Enfui en 2015 d’Angola où ses parents, menacés de mort, craignaient pour sa vie, Aluisio est arrivé en France à 14 ans, il y a quatre ans. D’abord hébergé à Arles en centre pour mineurs isolés, il n’a pas tardé à être soumis aux fameux tests osseux, dentaires et pileux dénoncés par l’Union européenne et par toutes les instances de défense des droits de l’homme, tant pour leur inhumanité que pour leur fiabilité quasi nulle, maintes fois critiquée par la communauté scientifique. Pas de chance : les pseudo-tests ont décidé qu’Aluisio venait tout juste d’avoir 18 ans. L’acte de naissance demandé en urgence aux autorités angolaises, attestant qu’il en avait bien 14, comme affirmé depuis le début, n’a pas été jugé digne d’être pris en compte - chacun sait bien qu’en Angola on ment et que tous les papiers sont faux.

 

Aluisio a dû quitter le centre pour mineurs. C’est-à-dire, en l’absence d’autre prise en charge par l’Etat, qu’il s’est retrouvé à la rue, avec en prime une amende de plusieurs milliers d’euros pour avoir «profité des services à l’enfance» de notre pays. Recueilli par deux familles arlésiennes, inscrit par elles au collège, il a peu à peu fait son chemin en quatrième, puis en troisième, apprenant rapidement le français, impressionnant camarades et professeurs, suscitant l’admiration générale, finissant l’année 2016 avec le titre, remis par le conseil général des Bouches-du-Rhône, d’«élève le plus méritant de l’établissement». Tout allait bien. Enfin l’évidence semblait admise : qu’il avait tout simplement trouvé sa place en France.

 

Nouveau choc en août dernier, alors qu’Aluisio, élu délégué de classe en début de seconde au lycée professionnel Frédéric-Mistral de Nîmes, venait de terminer son année en ayant obtenu les félicitations à chaque trimestre et reçu l’appréciation générale d’«élève exemplaire» : la police l’arrête lors d’un contrôle de routine. Il est aussitôt placé en centre de rétention, puis soumis par la préfecture de Marseille à une OQTF avec exécution immédiate. Trois jours plus tard, une centaine de personnes se pressent devant le tribunal : familles d’accueil, professeurs, camarades de classe, associations, signataires de la pétition en ligne, journalistes de France 3, La Provence, Mediapart. Est-ce la pression médiatique ? L’iniquité décidément trop grande de la décision préfectorale ? Au soulagement général, l’OQTF est levée par la juge Sarac-Deleigne.

 

La vie reprend. Pour de bon, cette fois, peut-on penser. Aluisio fait sa rentrée en première, poursuit sa formation de géomètre-topographe, reçoit les éloges de son maître de stage, est élu délégué des délégués au conseil d’administration du lycée, suit par ailleurs une formation de la Croix-Rouge qui lui vaut, donc, ce prix remis par Blanquer. Fête avec sa famille d’accueil ses 18 ans et des perspectives qui s’éclairent, protégées par une décision de justice enfin rendue.

 

Et puis arrive ce courrier : la préfecture, contre l’avis de la juge, confirme l’OQTF. Tout est à recommencer. Nouveau recours. Nouvelle attente. Nouvelle angoisse. Nouvelle mobilisation générale. Pour réclamer quoi ? Que soit simplement entendue l’évidence ? Elle le sera. Impossible d’imaginer qu’il en soit autrement. Il est déjà bien assez rageant de savoir que les préfectures de notre pays n’ont pas mieux à faire que de s’acharner sur des Aluisio.