EBOLA : Le combat de Seydouba

 

 

Le sourire est timide mais franc, posé sur un visage qui ne laisse rien transparaître de cicatrices gravées à vie. Un sourire chaleureux en guise de doigt d’honneur bien tendu à ce destin aussi tragique que bouleversant. Car la Guinée, Seydouba Sylla, né à Conakry avant de « grandir en campagne », se serait bien vu y vivre plus longtemps. Une maladie, la fièvre Ebola, cause du décès de plus de 11.300 personnes en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016, en a décidé autrement. « Mon père en est mort. Et les gens ont pensé que j’étais aussi contagieux ». À la suspicion, s’ajoute la violence. « Une fois qu’on sait qu’une famille a contracté la maladie dans son foyer, les militaires la ramassent pour la mettre en quarantaine. Moi, je n’ai pas vécu ça, j’ai fui ».

 

La séparation en Libye 

 

Si Laurent Gaudé, dans son roman « Eldorado », raconte entre autres le voyage de deux frères soudanais prêts à tout pour rallier l’Europe, Seydouba, lui, y a donc été contraint. Mais son histoire, elle aussi, évoque les liens du sang. « Mon frère a décidé de me faire quitter le pays car beaucoup de personnes parlaient de ça ». Direction la Libye et un pays en lambeaux. « Là-bas, on a vécu des choses… ». Il n’ira pas plus loin. Trop lourd. Trop ancré. Trop frais. « C’était tellement violent que nous avons décidé de nous séparer. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Je n’ai pas non plus de nouvelles de ma mère, malade, et de mes deux autres frères, restés en Guinée ». 

 

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La suite est un périple en bateau - « dur, très dur » - jusqu’en Italie avant d’arriver à Angoulême il y a un an et demi. Reconnu comme mineur par les services de l’État et redirigé vers Brest, le jeune homme débute alors un nouveau parcours du combattant quand, sa minorité remise en cause, il sort du dispositif de protection de l’enfance. « Ça a été une période très compliquée. Je devais être hébergé deux semaines à l’hôtel, j’y suis resté onze mois… Seul, tout remontait, j’ai beaucoup pleuré ». Une association l’aidera à déposer un recours et les choses rentreront finalement dans l’ordre. Si tant est que cela soit la bonne formule.

 

En bac pro à Brest

 

« L’intégration n’a pas été facile mais être inscrit à l’école et dans un club de foot m’a énormément aidé pour faire des rencontres », poursuit-il, flegmatique. L’école, d’abord : étudiant à Dupuy de Lôme en bac pro Tisec (*), le Guinéen, qui vit désormais dans une colocation à Bellevue avec trois autres étrangers, touche à son rêve. « La plomberie, c’est un métier qui m’intéressait déjà au pays mais je n’avais jamais pratiqué. Je me disais "quand je serai grand, je veux faire ça". Arrivé ici, c’était mon premier objectif ». Le football, ensuite : « Je suis gardien de but », souligne fièrement celui qui a surpris son monde en cassant la baraque au PL Lambézellec au point de faire un essai au Stade Brestois et finalement rejoindre le Plouzané AC. « En Guinée, les grands frères me disaient que j’avais du talent. Là-bas, on n’était pas dans une structure, on jouait sans chaussures. On n’avait pas non plus la télé, donc on ne connaissait que les très grands joueurs. Et, moi, mon exemple, c’est Manuel Neuer (gardien de la sélection allemande) ».

 

J’affronte la vie

 

Deux piliers d’une vie marquée au fer rouge par le drame et le courage. Une vie qui prendra un nouveau virage le 3 mai prochain, jour de ses 18 ans, moment où commencera une nouvelle bataille, celle de l’obtention du titre de séjour. Mais Seydouba ne lâchera rien, non. Il continuera d’avancer la tête haute. La larme à l’œil, sûrement, parfois. Mais toujours le sourire aux lèvres. Toujours. « Quand je me laisse un peu aller, je me dis qu’un jour viendra où je me retrouverai sur la route. Alors je fonce, j’affronte la vie ».

 

(*) Technicien en Installation des Systèmes Énergétiques et Climatiques

 

Pierre-Yves Henry