Ocean Viking/SOS Méditerranée : Nous sommes le 4 ème navire à avoir été arrèté

 Pour l'une des dirigeantes de SOS méditerranée, Louise Guillaumat, la situation des migrants fragilisés par les conditions de détention en Lybie, pourrait s'améliorer si le droit maritime était respecté

Plus aucun bateau humanitaire ne patrouille actuellement en Méditerranée centrale, soit la zone maritime allant de la Libye à l’Italie. Depuis le 22 juillet, l’Ocean Viking, affrété par SOS Méditerranée, est immobilisé à Porto Empedocle par les gardes-côtes italiens. Quatorze jours plus tôt, le bateau avait été autorisé à débarquer dans le port sicilien avec 180 migrants secourus en mer. Le principal motif de cette mise à l’arrêt : «Le navire a transporté un nombre de personnes supérieur» à sa capacité réglementaire. Un argument utilisé par les autorités italiennes pour stopper ces trois derniers mois les opérations de trois autres navires humanitaires, dont le Sea-Watch 3. Louise Guillaumat, directrice adjointe des opérations au sein de SOS Méditerranée, dénonce un «acharnement administratif» et appelle les Européens à «assumer leurs responsabilités».

L’Ocean Viking est immobilisé depuis plus de deux semaines. Quelles sont vos voies de recours pour repartir en mer ?

Nous travaillons de manière acharnée avec l’armateur de notre navire pour prouver qu’il est tout à fait apte à naviguer et à répondre à sa mission. Pour cela, nous tentons d’obtenir des certifications [non obligatoires, ndlr] pour rendre l’exercice de blocage plus difficile pour les autorités italiennes. Selon nous, cette décision est une manipulation visant à stopper les opérations de sauvetage en Méditerranée centrale. Nous sommes le quatrième navire à avoir été arrêté sur des interprétations distordues du droit, au motif que nous avons sauvé trop de personnes. Il ne faut pas confondre rescapés et passagers. Malheureusement, nous savons que les arsenaux juridiques et administratifs des Etats sont assez puissants pour stopper les opérations de sauvetage. Et ce malgré toutes les autorisations et certifications.

Quelle est la situation actuelle en Méditerranée centrale ?

Il y a énormément de départs depuis la Libye, beaucoup de migrants et de demandeurs d’asile interceptés par les gardes-côtes libyens, des Italiens débordés… Officiellement, plus de 295 personnes ont perdu la vie en Méditerranée centrale depuis le début de l’année. Mais nous savons que les chiffres sont sous-estimés, qu’il y a énormément de «morts invisibles». Rien que ce week-end, des témoignages de migrants interceptés pour être ramenés de force en Libye ont fait état de 10 personnes décédées.

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Des morts d’autant plus difficiles à comptabiliser qu’il n’y a aucun navire de sauvetage sur les lieux…

Oui. Lorsqu’une embarcation coule et que personne n’est témoin de la scène, les chiffres ne sont pas comptabilisés. C’est ce qu’il s’est passé ce week-end : les morts ne sont pas considérées comme «avérées».

 

Qu’advient-il des migrants et des demandeurs d’asile lorsqu’ils parviennent à rejoindre les côtes européennes ?

 

La situation dramatique en mer l’est tout autant à terre. Le camp de Lampedusa [île située au sud de l’Italie continentale, proche des côtes libyennes et tunisiennes], dont la capacité est d’un peu moins de 100 personnes, accueille par exemple plus de 1 000 migrants aujourd’hui. Tous les hotspots [chargés d’identifier les nouveaux arrivants] sont saturés. Et les Européens laissent l’Italie totalement seule face à cette situation. L’accord de Malte [mécanisme temporaire fondé sur le volontariat des Etats pour une répartition des migrants secourus en mer], que nous avons appelé de nos vœux depuis des années, est au point mort. Avant de pouvoir débarquer puis d’être immobilisés, nous avons attendu onze jours avec 180 personnes à bord dans des conditions catastrophiques. Le navire s’est même déclaré en «état d’urgence», une première dans l’histoire de SOS Méditerranée. Nous nous battons pour une solution européenne.

Quel est l’état psychologique des rescapés ?

Les personnes que l’on sauve, surtout récemment, ont passé de longues périodes dans des centres de détention en Libye dans des conditions désastreuses et viennent parfois de passer plusieurs jours dans des embarcations de fortune sans avoir la certitude de s’en sortir. Lorsqu’ils arrivent à bord, les rescapés sont dans un état de faiblesse physique et psychologique terrible. Et plus nous sommes bloqués en mer, plus leur situation se dégrade. Ils n’ont plus confiance, craignent d’être ramenés en Libye. Nous avons demandé une évacuation médicale pour plus de 40 personnes le 3 juillet mais elle a été refusée par les autorités italiennes. Certains ont essayé de se pendre, d’autres se sont jetés à l’eau. Cela pourrait être évitable si le droit maritime était respecté.

 

Quel protocole sanitaire avez-vous mis en place face au Covid-19 ?

 

Les trois mois d’arrêt [entre le 20 mars et le 22 juin] nous ont permis de mettre en place un protocole très strict, qui a touché tous les niveaux des opérations. Nous avons mis en place une zone de décontamination avant que les rescapés montent à bord. Nous effectuons une prise de température pour chacun d’entre eux et nous leur fournissons des masques. Si quelqu’un présente des symptômes, il est systématiquement isolé. L’ensemble de l’équipage [une trentaine de personnes] a respecté une période d’isolement de quatorze jours avant de rejoindre le navire et doit porter un équipement spécifique (gants, visière, masque…). Un tel dispositif complique toutefois la communication avec les rescapés qu’on a plus de mal à rassurer. Cette situation ajoute de la complexité à la complexité.