25/08/17

A Douarnenez, le «Chemin de croix» de Souleymane Baldé


Arrivé en France en 2016, ce migrant originaire de Guinée a raconté son parcours à travers l’Afrique sur une fresque brodée qu’il est venu présenter au festival de cinéma de la ville bretonne.C’est une histoire de migrant entre l’Afrique subsaharienne et la France, comme il en existe des milliers d’autres.
Une histoire de traversée du désert à pied, de séjours en prison, de coups de matraque, de truands nommés passeurs, de centres de rétention, de retours à la case départ et de canot pneumatique qui chavire en pleine mer. Une histoire comme tant d’autres, oui, mais que Souleymane Baldé a décidé de raconter par le biais d’un récit particulier : un ensemble de quatorze tableaux en tissu, brodés et peints de sa main.
Quand il vivait en Guinée, le jeune homme pratiquait le tricot et la broderie au sein d’un petit collectif appelé Africa Culture. En arrivant en France en 2016, il a mis en image son parcours migratoire à l’aide de vieux draps et d’un crochet en métal, le seul objet qu’il a pu conserver de son périple agité, long de deux ans.

Son odyssée commence en 2014 à Mamou, une ville située à 250 kilomètres de la capitale Conakry. Quand on lui demande ce qui l’a poussé à partir, Souleymane Baldé évoque « des raisons familiales », sans en dire davantage, ainsi que l’épidémie du virus Ebola en Afrique de l’ouest qui s’est déclenchée dans le sud-est de la Guinée en décembre 2013. Il remplit alors son sac de débardeurs et de bonnets qu’il a tricotés afin de les vendre sur la route pour subvenir à ses besoins.
Sa première étape est la station balnéaire de Saly Portudal, au Sénégal, où il reste cinq mois. La suivante sera Gao, au Mali, où son chemin va croiser celui des rebelles touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad. « C’est en arrivant aux portes du désert qu’on mesure combien est difficile un parcours migratoire », dit-il.
l faut une heure à Souleymane Baldé pour relater l’ensemble des événements qui ont jalonné son expédition. Sa traversée du désert à pied, « pendant quatre ou cinq jours », jusqu’à la frontière algérienne ; son intégration au sein d’un « ghetto », ces camps où les passeurs font attendre les migrants ; son embauche au sein d’entreprises de BTP et de maraîchage abusant d’une main-d’œuvre vulnérable ; son emprisonnement pendant un mois pour défaut de titre de séjour ; les coups de trique de la police marocaine ; son refoulement en Algérie ; son retour au Maroc. Ses trois tentatives, enfin, de traversées de la Méditerranée.
La première est un échec : « La boussole du bateau s’est cassée. Nous nous sommes perdus en mer et sommes restés quatre jours et quatre nuits sans boire ni manger. Il n’y avait plus de carburant, nous avons dû jeter le moteur pour continuer à flotter. La Croix rouge marocaine nous a récupérés. Nous avons ensuite été refoulés dans le désert. »
La deuxième tentative tournera au cauchemar : « Le Zodiac était percé mais les passeurs nous ont obligés à monter dedans. Le bateau a coulé. Il y avait 65 migrants à bord, originaires de tous les pays de l’Afrique subsaharienne, des enfants, des adultes, des personnes âgées… Seuls 15 ont survécu. Les sauveteurs m’ont trouvé à moitié évanoui, accroché à une partie du bateau qui flottait. »
Traumatisé, Souleymane Baldé attendra plusieurs mois avant d’effectuer une dernière tentative, jusqu’à l’enclave espagnole de Ceuta. Ce sera la bonne. Il intègre alors le centre de séjour temporaire pour étrangers (CETI) d’où il ressort avec un ordre d’expulsion, document qui n’est presque jamais exécuté. Pris en charge par une association madrilène, il rejoindra ensuite Lille de son propre chef, attiré par la tradition textile du Nord.
« On m’a dit qu’il y avait là-bas plein d’artistes travaillant le tissu. On ne m’avait pas dit, par contre, qu’il y faisait si froid. » Il restera six mois sous une tente du camp de migrants du parc des Olieux, jusqu’à son démantèlement en novembre 2016.
Tout cela est raconté sur sa tapisserie en quatorze estampes, brodée au fil de soie. L’artiste a fait assaut de symbolisme. Il a représenté son pays, la Guinée, sous l’aspect d’une femme enceinte afin de rappeler la fertilité de son sol. Le trait de contour des clandestins est en pointillé, façon de rappeler qu’ils doivent rester invisibles pour continuer à progresser. Le chef des passeurs d’un ghetto algérien a, lui, été gratifié d’une couronne : « Il se faisait appeler « président » et il avait un véritable gouvernement à sa botte. L’un de ses adjoints était le « ministre des transports », un autre le « ministre de la sécurité » ».
Des matraques, des kalachnikovs, des routes sans fin et un bateau doté de jambes, comme dans la chanson enfantine, constellent également son œuvre. Jusqu’à l’image finale : une bouche cousue – rappelant l’initiative de migrants iraniens à Calais qui protestaient contre leur condition – mais dont les fils ont été rompus, signe d’une liberté d’expression retrouvée. Quelques mots, enfin, ont été écrits, les seuls de cette oeuvre située à la croisée de la bande dessinée et de l’art brut : « Je marche sans papier, je ne suis qu’un exilé, je ne vis que d’amour, je ne parle que de paix et je tiens à ma liberté. »
A Douarnenez, douze enfants ont participé à un atelier de la MJC consistant à adapter en film d’animation la fresque de Souleymane Baldé. Le jeune homme a enregistré son témoignage à l’oral et a fait numériser ses tableaux, avant de rejoindre Lille où l’attend une deuxième de bac pro en alternance dans le secteur du BTP. Pris en charge par les services sociaux du département, le candidat à un titre de séjour espère ensuite poursuivre des études d’architecture.
Son Chemin de croix en étoffe a été exposé à plusieurs reprises dans le Nord, en Ile-de-France et en Bretagne. Il s’est attaqué récemment à une version littéraire de son récit, dans l’espoir de trouver un éditeur.